Il aura fallu attendre une pandémie mondiale et plusieurs dizaines de milliers de décès pour que toute notre société - dirigeant·e·s politiques, corps intermédiaires, citoyen·ne·s - entendent enfin le cri d'alarme que poussent depuis plusieurs années celles et ceux qui font vivre nos hôpitaux publics au quotidien. Depuis plus de quarante ans, l'hôpital public français fait l'objet d'une guerre d'usure : la guerre des finances. Arrêtons-nous cinq minutes pour comprendre comment nous en sommes collectivement arrivés là. Tentons un diagnostic et surtout, veillons à ne pas fermer les yeux à nouveau une fois la tempête passée.
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À trop vouloir amputer, on finit par toucher les organes vitaux. Bonjour !
En France, sur plus de 3.000 établissements de santé, 1.376 sont des hôpitaux publics. Ils ne représentent que 45% mais offrent encore plus de 61% des lits en hospitalisation complète et 55% des lits en hospitalisation courte. “Encore” car, depuis plusieurs décennies, nos précieux hôpitaux publics font l’objet d’une guerre sans merci : la guerre des finances. L’hôpital pèserait trop dans les dépenses publiques ! Passons les troupes en revue.
En 2002, les hôpitaux publics disposaient de 314.000 places en hospitalisation longue. En 2018, il n’en restait que 243.000. 71.000 lits en moins. SCHLAK ! Côté hospitalisations courtes - à savoir moins de 24 heures - le nombre de places, lui, a augmenté de... 12.000 lits. Passant de 31.000 à 43.000. On est loin du compte. Et, surtout, l’un ne remplace pas l’autre. Les places en hospitalisation longue offrent un stock de lits vides, histoire de parer aux imprévus. Une épidémie fulgurante par exemple. Mais pourquoi cette double évolution ? Faisons un petit virage historique : le virage ambulatoire. Attention, ça dérape.
1982, à gauche toute. Jack Ralite, ministre de la Santé et membre du Parti Communiste, confie la direction des hôpitaux à Jean de Kervasdoué. Cet ingénieur des Eaux et Forêts visite l’université américaine de Cornell et y découvre les Diagnosis Related Groups. Une ingénieuse façon de classer les malades hospitalisés. Le but ? Identifier précisément le coût de chaque séjour. L’outil rêvé pour maîtriser les dépenses de ces fichus hôpitaux ! En 1982, naît donc le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information). Son objectif : mesurer la “production” de soins dans chaque unité médicale. Il reste peu utilisé jusqu’en 1996. Attention virage à droite. Alain Juppé, alors Premier Ministre, lance son plan pour contenir les dépenses de la Sécurité Sociale. Au menu notamment : création de l’Ondam (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) qui doit aider à réduire les dépenses de santé. L’Ondam est une limite budgétaire annuelle votée par le parlement. Mais aussi utilisation pour première fois du PMSI dans le calcul des budgets alloués aux hôpitaux. Ou comment injecter dans les habitudes la notion de “rentabilité” d’un séjour hospitalier.
2002. Le plan “Hôpital 2007” propose une nouvelle méthode de financement : la T2A, Tarification À l’Activité. Désormais, chaque hôpital doit classer sa “patientèle” dans l’un des 800 Groupes Homogène de Malades. La Sécurité Sociale paie ensuite l’hôpital pour chaque acte médical selon les barèmes de la T2A, qui est révisée chaque année. Tout est en place. D’un côté, l’Ondam maintient la pression en définissant un budget inférieur aux besoins prévus. Économies mon amour. En 2019, par exemple, la croissance de l’Ondam était de 2,4%, là ou la commission des comptes de la Sécurité Sociale estimait l’augmentation des besoins à 4,4 %. Mais heureusement, la T2A est là pour repérer les opérations les plus rentables et optimiser au mieux le management de l’entreprise Hôpital ! Cadeau bonus : en 2005, les directeurs d’hôpitaux sont autorisés à contracter des emprunts sans attendre l’aval du directoire de l’établissement. Si l’État ne vous aide pas assez, demandez donc aux banques ! En pleine épidémie d’emprunts toxiques, c’est pas le meilleur “geste barrière” qui soit.. Entre 2002 et 2013, l’endettement des hôpitaux publics est passé de 9 à 30 milliards !
Bons nombre d’établissements se retrouvent donc au bord de l’asphyxie budgétaire. Et la plus grosse variable d’ajustement va être le personnel. Entre 2010 et 2017, la productivité dans les hôpitaux publics a bondi de près de 15% et les effectifs de... 2% ! De quoi briser plus d’un soignants. Les arrêts maladies sont d’ailleurs plus importants dans le secteur hospitalier que dans tous les autres secteurs (10.2 jours/an contre 7.9 jours/an). Et ne parlons pas des salaires. Les paies du personnel des hôpitaux sont inférieures de 10% au salaire moyen dans l’hexagone, classant la France 28e sur 32 au sein de l’OCDE. Classe.
La principale guerre sanitaire de ces 40 dernières années a été menée contre l’hôpital public. Le PMSI, l’Ondam, la T2A, sous prétexte d’économies, ces outils d’optimisation ont installé une rengaine fatale : si l’hôpital est déficitaire, c’est de sa faute. Mais quid des facteurs externes qui font mécaniquement grimper les dépenses de santé : vieillissement de la population, équipements médicaux plus coûteux, augmentation du niveau de vie… Dans tout diagnostic, le contexte est essentiel. Il est temps de repenser collectivement nos priorités. Mais encore faudrait-il avoir une société où le dialogue et la prise de décision soient réellement démocratiques. Allez plutôt que d’amputer, est si nous tentions d’autres traitements ?
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2020
NA
Coronavirus : comment les réformes libérales ont “cassé” le service public hospitalier
Dormont B. et Huber H. (2012), Vieillissement de la population et croissance des dépenses de santé, rapport pour l’Institut Montparnasse. - Recherche Google