Gouvernés par les nombres ? Échecs et maths. (EP.76)

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Informations techniques
Saison 6
Episode 76
Date de sortie 01/12/2017
Durée 4:24

Le mot "statistiques" vient de l'allemand “staatwissenschaft”, qui signifie “la science d’État”.

Si les data sont effectivement des outils efficaces pour nous aider à saisir le fonctionnement d’un monde toujours plus complexe, leur utilisation est-elle adaptée à chacune des facettes du réel ? Nos États intègrent peu à peu une logique d’optimisation à tout prix, multipliant les similitudes avec le modèle des lois du marché. Comme si ces dernières étaient les plus à même à prendre des décisions démocratiques.

Script

rigt"À force de tout chiffrer, le réel devient impossible à déchiffrer. Bonjour !

Indicateurs, baromètres, palmarès, tableaux de bord nourris au benchmarking et aux audits pour mieux diagnostiquer, moderniser, restructurer, simplifier et ainsi accroître la productivité, augmenter l'efficacité et le tout à moindre coût. L'État est devenu une bien belle machine, non ? Bien huilée aux data, débordante de chiffres qui permettent de calculer à chaque instant le monde qui nous entoure et donc de l'optimiser. Vraiment ? Revenons aux bases.

À la fin des années 1980, l'américain Robert Camp, ingénieur chez Xerox, popularise le terme de "benchmarking". [1] Le principe en est simple : identifier les "bonnes pratiques" chez les concurrents et corriger les mauvaises chez soi. Il faut donc cibler les "process" qui marchent, calculer leur coût d'implémentation et estimer leur bénéfice. Le rêve de tout gestionnaire. 1992, le livre "Reinventing Government" ouvre la voie au NPM : le New Public Management. [2] Tout un programme. Il s'agit d'importer au sein des États les outils de gestion et d'organisation de l'entreprise, dont fait parti le "benchmarking". Ainsi, les citoyens et citoyennes deviennent des clientes et clients d'un État fournisseur de services. Progressivement, la rentabilité devient le mètre-étalon.

"Les citoyens et citoyennes deviennent des clientes et clients d'un État fournisseur de services."

Prenons l'école publique américaine. En 2001, sous administration Bush, le Congrès Américain vote le "No Child Left Behind Act". [3] L'intention est louable : ne laisser aucun enfant en situation d'échec scolaire. Comment ? Grâce à un test ! Le « Adequate Yearly Progress » est établi pour calculer si les élèves sont à la traine ou non. Et devinez quoi ?Les subventions et les salaires des enseignants sont définis en fonction des résultats de chaque établissement à ce test. Si le taux d'échec est trop élevé, des licenciements sont à la clé. Cool. « C'est pour le bien des élèves » me direz-vous. Ou pas. Non seulement les établissements mais aussi les profs entre eux sont désormais en concurrence, adieu travail d'équipe. Tout le monde se concentre sur le tests, bien plus que sur l'enseignement. Et, surtout, on favorise les meilleurs élèves pour faire grimper la note de l'école et maintenir les salaires. Les retardataires sont des boulets dans les moyennes. Dommage.

Au royaume des indicateurs, les chiffres sont rois. Pour être comparé, tout doit pouvoir être quantifié... même la vie humaine. C'est ainsi qu'existe la "VVS", Valeur de la Vie Statistique. En France, une vie est estimée à 3 millions d'euros. [4] Cette VVS est notamment utilisée pour définir si un équipement de sécurité routière est rentable ou non. Pour cela, il faut que son coût soit inférieur à la somme - monétaire - des vies qu'il pourrait sauver. [5] Élémentaire, non ?

Mais revenons à ce cher New Public Management. La France n'échappe pas à la règle. Votée en 2001 et appliquée à partir de 2006, la Loi Organique relative au Lois de Finances (LOLF) a rendu systématique la quantification des performances et l'utilisation d'indicateurs en tous genre. Ainsi le Projet de Loi de Finance 2017 comporte 751 indicateurs pour piloter le pays en toute ubiquité. [6] L'action publique est découpée en de multiples tranches isolées, chacune mesurée et auditée.

Prenons la santé. En 2009, dans la loi HPST (Hôpital, Patient, Santé, Territoire), la notion de "service public hospitalier" est remplacée par celle d'"Établissement de santé" soumis à la fée "concurrence". [7] L'activité est découpée en 14 missions qui peuvent être attribuées à des établissements publics ou privés, au choix. [8] L'Hôpital devient une entreprise dont l'État serait le manager et les médecins des ingénieurs en charge de sa rentabilité. Une transformation notamment imaginée dès les années 1970, à l'université de Yale, par l'équipe de Robert Fetter, spécialiste en économie industrielle. [9] Leur idée était de rationaliser et standardiser les prises en charge des malades suivant un modèle "d'hôpital usine". Quel génie.

"Les datas ne sont pas neutres. À nous de les faire gueuler démocratiquement."

En cherchant sans cesse à quantifier pour comparer, mesurer, classer, la gouvernance par les nombre simplifie dangereusement une réalité bien plus complexe qu'un empilement d'indicateurs. Le problème n'est pas de mesurer mais de laisser ces mesures s'auto-piloter. Toujours ce vieux rêve d'un État "fluide" s'ajustant au réel social. Comme un écho de cette utopie des marchés qui répondraient d'eux-mêmes aux besoins de l'économie. Mais où passe la décision démocratique dans cette machine si parfaite ? Les indicateurs donnent l'illusion d'une réalité objective comme si ces chiffres étaient régis par des lois "naturelles". Et pourtant, chaque indicateur a des fondements politiques.

Gérer l'État comme une entreprise, en actant que les lois du marché prévalent, c'est un choix politique. Les data ne sont pas neutres, à nous de les faire gueuler démocratiquement."



Sources

Sources principales

Sources secondaires

  1. Se libérer par les données (Nicolas Kayser-Bril) : https://is.gd/TvFrBf
  2. Bilan et devenir de la loi No Child Left Behind aux Etats-Unis (Adam Gamoran) : https://is.gd/fGcQt8
  3. La gouvernance par les nombres (Alain Supiot) : https://is.gd/Cvlfqc

Sources complémentaires

Des articles, des vidéos, des émissions viendront poursuivre la réflexion.

Crédits

Crédits
Un programme court proposé par Premières Lignes et Story Circus en coproduction avec France Télévisions.
Écriture et enquête Julien Goetz & Sylvain Lapoix
Réalisé par Julien Goetz & Henri Poulain
Directeur artistique Henri Poulain
Graphiste Michaël Alcaras
Sound design Christophe Joly
Mixage Yves Zarka
Produit par Luc Hermann & Hervé Jacquet
Directeur de production Aurélien Baslé
Stagiaire recherchiste enquêtrice Colline Liénard
Stagiaire community manager Mathilde Simon
Stagiaire graphiste Kilian Le Dantec
Musique Cezame Music Agency
Archives Getty Images
France Télévisions Nouvelles Écritures Pierre Block de Friberg

Céline Limorato

Gwenaëlle Signaté

Annick Jakobowicz

Production Sandrine Miguirian

Vanille Cabaret

Communication Agnès Desplas