« Des mots, des mots... Démocratie ? (EP.74) » : différence entre les versions

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[[Catégorie:La démocratie n'est pas un rendez-vous]]

Version du 12 juillet 2017 à 11:50

Informations techniques
Saison 6
Episode 74
Date de sortie 12/07/2017
Durée 4:48

Les Révolutions françaises et américaines ont mis fin à des régimes monarchiques et absolus afin de donner le pouvoir au peuple par l'instauration de régimes "démocratiques". L'histoire était belle... Mais en fouillant un peu le sujet, on se rend compte que la réalité historique est bien différente. Si les Révolutions françaises et américaines ont rejeté la monarchie, elles ont tout autant rejeté la démocratie. Elles ne marquent pas tant le point de départ d’un pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple que la constitutionalisation d’un régime représentatif. La « démocratie », dont aiment tant parler nos représentants aujourd’hui, n’est peut-être pas si évidente à désigner.

Script

Si l'habit ne fait pas le moine, le mot ne fait pas démocratie. Bonjour !

« La France n'est point, et ne peut pas être une démocratie. »[1][2][3]Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Emmanuel-Joseph Sièyes, député du Tiers-État, figure essentielle de la Révolution Française. Nous sommes le 7 septembre 1789 et celui que l'on appelle « L'Abbé Sieyes » prononce ces mots à l'Assemblée Nationale, née 3 mois plus tôt.

« J’ai toujours été pour une république libre, pas une démocratie, qui est un gouvernement arbitraire, tyrannique, sanglant, cruel et intolérable. »[4]. Cette fois-ci, ce sont les mots de John Adams, l'un des « Pères fondateurs » des États-Unis d'Amérique, dont il a été le second président.

Mais alors quoi ? On ne parlait pas de démocratie pendant ces grandes Révolutions ? Ce « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » ? Assez peu. "Lois", "peuple", "liberté" ou encore "nation" et "constitution", voilà les mots vedettes dans les textes de la Révolution française. Ce n'est que loin derrière qu'arrive celui de "Démocratie", après "représentants" et "souveraineté"[5]. Et quand on l'utilise, c'est en guise d'épouvantail.

Dans l'arène politique de l'époque - que ce soit en France ou aux États-Unis - être qualifié de « démocrate » est clairement une insulte. Sieyes agite le risque d'une « démocratie populaire avec ses mouvements tumultuaires et incertains »[5]. L'américain Elbridge Gerry, l'une des plumes ayant signé la Déclaration d'Indépendance s'enflamme : « les malédictions que nous expérimentons découlent des excès de la démocratie. »[6]

Il faut donc imaginer un système qui protège la société d'elle-même. Éviter à tout prix cette dangereuse démocratie. L'exemple d'Athènes était bien connu des penseurs politiques de nos chères Révolutions. Mais hors de question d'utiliser le tirage au sort, ça c'était bon pour les grecs. Élisons des représentants ! Voilà l'option qui l'emporte. Bienvenue en aristocratie. Et oui, Montesquieu l'écrit clairement dans sont "Esprit des lois" : « le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l'aristocratie. »[7]

Placer l'élection au cœur de ces Républiques fraîchement nées, c'est acter qu'il existe une élite bien plus capable de s'occuper de la chose politique que les autres. Ça tombe bien, c'est cette même élite qui a choisi cette organisation. Mais d'où vient cette étrange idée d'une assemblée représentant le peuple ? Du Moyen-Âge. Les premiers États Généraux sont convoqués en 1302 par Philippe Le Bel, Roi de France. Clergé, noblesse et Tiers-État s'y trouvent réunis dans un but bien précis : légitimer le Roi face au Pape Boniface VIII[8]. L'illusion d'une représentation nationale est là mais déjà aucune trace de démocratie.

Quelques siècles plus tard, à l'aube de la Révolution, Sieyes, toujours lui, fait cette remarque : « Il ne s’agit parmi nous que de commerce, d’agriculture, de fabriques, etc. Le désir de richesses semble ne faire de tous les États de l’Europe que de vastes ateliers. »[9] Pour lui, le peuple souhaite avant tout s'occuper de ses biens privés. La liberté de l'époque est celle de participer à la société commerçante. Le gouvernement représentatif est la solution. Le peuple délègue ainsi la gestion des affaires publiques à des représentants et peut s'occuper de ses affaires privées. La division du travail appliquée au politique.

Reste un dernier tour de passe-passe. Alors que la démocratie était encore une insulte, certains en ont fait un argument de campagne. Nous sommes en 1828 et Andrew Jackson est élu 7eme président des États-Unis. Comment ? En étant le premier à se proclamer « démocrate ». Il se présente ainsi comme le candidat des petites gens face aux élites, récoltant du coup les voix des classes populaires. 15 ans plus tard, tous les autres candidats auront fait de même. Au passage, Jackson amène aussi le parti qui le soutient à changer de nom. Ainsi le parti Républicain devient... Parti Démocrate. Rien dans les mains, rien dans les poches, du marketing politique avant l'heure.[10]

Dans un contexte social bien différent, les « Pères Fondateurs » de nos Républiques étaient donc ouvertement opposés à la démocratie comme régime politique. Ce qui n'enlève rien à leurs intentions sincères : liberté, égalité, justice... Ce sont d'ailleurs ces élites élues qui ont écrit des textes fondamentaux comme la « Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen » en France ou le « Bill of rights » américain. Étonnante complexité.

Sauf qu'aujourd'hui le mot démocratie s'est perdu. Il ne désigne plus un système politique mais un agrégat d'idéaux dont chacun peut se réclamer. Ce mot, devenu sacré, est intouchable. Ne pas se proclamer « démocrate » est un suicide politique. Affirmer que l'on n'est pas en démocratie est un crime de lèse-majesté. Mais alors, comment réfléchir à des alternatives si l'on ne peut déconstruire le système en place ? Il va sans doute falloir sortir de cette impasse pour construire une véritable démocratie.

Sources

Sources principales

Sources complémentaires

Des articles, des vidéos, des émissions viendront poursuivre la réflexion.

Crédits

Crédits
Un programme court proposé par Premières Lignes et Story Circus en coproduction avec France Télévisions.
Écriture et enquête Julien Goetz & Sylvain Lapoix
Réalisé par Henri Poulain
Graphiste Laurent Kinowski
Sound design Christophe Joly
Mixage Yves Zarka
Produit par Luc Hermann & Hervé Jacquet
Directeur de production Aurélien Baslé
Musique Cezame Music Agency
Archives Getty Images
France Télévisions Nouvelles Écritures Pierre Block de Friberg

Céline Limorato

Gwenaëlle Signaté

Annick Jakobowicz

Production Sandrine Miguirian

Vanille Cabaret

Communication Agnès Desplas