Banques de compensation : la Nature à crédit (EP.35)

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Informations techniques
Saison 3
Episode 35
Date de sortie 02/05/2015
Durée 3:41

La question de la préservation de l'environnement est aujourd'hui partout. À longueur de COP, les représentants politiques cherchent des solutions pour enrayer les dégradations que les sociétés humaines causent tout autour du globe. Mais, dans les années 1960, des économistes pensent avoir trouvé la solution. Si la nature est menacée, c'est parce que ses bienfaits n'ont pas de prix. Ils sont gratuits. Partant de là, leur logique est simple : fixons un prix pour la Nature pour estimer le coût des dégâts causés. Ainsi, chacun pourra payer pour compenser ces dégâts. Sauf que dans les faits, la Nature semble résister aux logiques du marché.

Script

rigtÀ force de scier la branche, on déracine l'arbre. Bonjour !

Sur Terre, depuis le début du XXè siècle, les activités humaines ont fait disparaitre la moitié des zones humides ainsi que la moitié des forêts primaires.

Sur Terre, depuis le début du XXè siècle, les activités humaines ont fait disparaitre la moitié des zones humides ainsi que la moitié des forêts primaires[1]. Supprimant du même coup les habitats d’innombrables espèces animales et végétales. Mais heureusement, un nouvel outil est apparu ces dernières décennies pour préserver ce qu’il nous reste de nature : les « banques de compensation ».

Lorsqu'un projet, comme une route ou un aéroport, voit le jour des études sont menées pour évaluer son impact sur la nature environnante. Le porteur du projet doit alors compenser les dégâts à venir. Ça tombe bien les banques de compensation sont là pour ça. Elles vendent des crédits « nature »[2] et, avec l'argent récolté, elles financent des projets de préservation ou de réhabilitation dans d'autres zones naturelles. On peut donc bétonner une forêt en Bourgogne à condition d'en recréer une autre en PACA. Normal.

Tout ça part d'un postulat simple. Selon certains économistes, si la nature est en banqueroute, c'est parce qu'elle n'a pas de prix[3]. Son exploitation sauvage est quasi gratuite. Pauvres arbres incapables d'éditer une facture pour le CO2 qu'ils absorbent. Idem pour les abeilles et les plantes qu'elles pollinisent. Alors, en 1960, l'économiste britannique Ronald Coase propose une solution : les mécanismes du marché peuvent protéger la nature.

Son idée est d'attribuer des titres de propriété pour des portions de nature, comme l'air pur par exemple. Avant pollution bien sûr. Ensuite, le marché régulant les échanges, ces titres de propriétés iront tout naturellement à ceux qui leur accordent le plus de valeur, protégeant du même coup la nature. Passons à la pratique.

Les premières banques de compensation naissent aux États-Unis dans les années 1970[4].  Très rapidement, les portefeuilles de produits proposés se diversifient : forêts, insectes, poissons, mammifères. À chaque destruction, son crédit. En 2012, pour compenser les travaux autour d’une station d’épuration, la ville de Sacramento a acheté à Wildlands - la plus grosse banque de l’Ouest américain - 69 crédits de Desmocerus Californicus, un coléoptère du coin[5]. Coût de l’opération : 241.500 dollars, soit 3.500 dollars par crédit. Rentable l'insecte !

Mais les investisseurs de cette “réserve d’espace naturelle” ont bénéficié de dérogations : pour 32 hectares d’habitat d'oiseaux détruits, Castorama n’a eu à en acheter que 15, tandis qu’un projet de l’Epad Ouest Provence, rayant 100 hectares de cet écosystème, n’a compensé que de 40 hectares.

Petit détail : les banques de compensation ne garantissent la protection des écosystèmes que sur une durée limitée. 50 ans aux Etats-Unis[6] et 30 ans pour la CDC Biodiversité[7]. Quid de la préservation au-delà de ces délais ? Mystère.

En proposant de payer pour détruire, les banques de compensation permettent aussi de repeindre en vert les rouleaux compresseurs. Sur l’île de Bornéo, la Malua Bank propose 34.000 crédits pour préserver 34.000 hectares d’une forêt abritant des orang-outangs[8]. Or ses partenaires sont entre autres le TH Group, IOI Group, Kwantas et PKPS, tous des géants de l’huile de palme. Ceux-là même qui rasent chaque semaine en Indonésie et Malaisie l’équivalent de la jolie réserve de Malua bank.[9]

Dans la réalité, la balance de ces compensations est loin d'être équilibrée. En France, la Caisse des Dépôts et Consignation a lancé sa propre filiale en 2008 : la CDC Biodiversité[10]. Cette institution financière publique gère 357 hectares dans les Bouches-du-Rhône. Mais les investisseurs de cette “réserve d’espace naturelle” ont bénéficié de dérogations[11] : pour 32 hectares d’habitat d'oiseaux détruits, Castorama n’a eu à en acheter que 15, tandis qu’un projet de l’Epad Ouest Provence, rayant 100 hectares de cet écosystème, n’a compensé que de 40 hectares.

Malgré leurs 118 banques de compensations, les Etats-Unis continuent de perdre chaque année 5.000 hectares de zones humides. Après plusieurs décennies, les écosystèmes compensés n’atteindraient jamais plus de 80% de la richesse de ceux détruits[12]. Laissant ainsi à la nature une “dette” de 20% à 30% sur les bras.

Mais, après tout, cette fichue nature finira bien par intégrer nos bons vieux réflexes de l'offre et la demande. Ou pas.

Sources

Sources principales

Sources complémentaires

Des articles, des vidéos, des émissions viendront poursuivre la réflexion.

Crédits

Crédits
Un programme court proposé par Premières Lignes Télévisions et Story Circus en coproduction avec France Télévisions.
Écriture et enquête Julien Goetz & Sylvain Lapoix
Réalisé par Julien Goetz & Henri Poulain
Directeur artistique Henri Poulain
Graphiste Houda Lambarqui
Sound design Christophe Joly
Mixage Yves Zarka
Productrice exécutive Laurence de Rosière
Production exécutive StoryCircus
France 4 / France Télévisions Nouvelles Écritures Boris Razon

Cécile Deyon

Renaud Allilaire

Christophe Cluzel

Administratrice de production Sandrine Miguirian