Pipelines : notre monde sous perfusion (EP.21)
Script
Le plus important dans un trésor, c'est la route qui permet d'y accéder. Bonjour !
Nous vivons une époque formidable ! Grâce à la découverte des sables bitumineux ou encore des gaz et huiles de schiste, la production de combustibles fossiles mondiale ne cesse de grimper. Aux États-Unis, de 1996 à 2013, les réserves de pétrole brut sont passées de 23,3 milliards de barils à plus de 36 milliards. Chez le voisin canadien, la production des états de l'ouest pourrait doubler d'ici à 2030, passant de 3,2 millions de barils par jour à plus de 6 millions.
Ça tombe bien, entre 2002 et 2012, la demande chinoise en pétrole a justement doublée, passant de 5 millions de barils par jour à 10 millions. Côté gaz, entre 2010 et 2035, la demande devrait croître de 7% par an en Chine et de près de 5% en Inde. Nouvelles réserves, nouveaux marchés.
Du coup, le transport de ces sources d'énergies est un enjeu majeur. Les pipelines sont aujourd'hui le moyen le moins coûteux. Pour acheminer le pétrole du Dakota du Nord jusqu'au golfe du Mexique, comptez 5 $ par baril en tuyau contre 10 à 15 $ en train.
Les infrastructures sont donc un marché en plein boom dominé par des géants aux noms peu connus. Comme Enbridge au Canada et ses 25.420 km de tuyaux, la moitié du tour du monde ! 2,2 millions de barils de pétrole et de gaz y transitent chaque jour, 15% des importations américaines. Ou encore Transneft qui transporte à lui seul 93% du pétrole russe à travers ses 48.280 km d'oléoducs.
En conditionnant l'accès aux sources d'énergie, les pipelines redessinent la carte politique du monde. Regardons l'Ukraine, en conflit depuis début 2014, pris en étau entre la Russie et l'Europe. Quoi de plus logique pour un territoire traversé par quelques tuyaux essentiels ? Des gazoducs qui acheminent 60% du gaz russe consommé par les européens.
Autre exemple : le Quatar aimerait lui aussi vendre son gaz naturel sur le vaste marché européen. Mais il faut passer par la Syrie et le président Bachar El Assad penche plutôt pour un projet de tuyau russe. Le Quatar, finançant à hauteur de 3 milliards de dollars l'opposition syrienne, en a donc profité pour ajuster les revendications des rebelles. Le passage d'un gazoduc Quatari y est clairement mentionné.
Mais les pipelines sont aussi un enjeu écologique. Les fuites sur de nombreux gazoducs laissent échapper du méthane, un gaz dont l'effet de serre est 23 fois plus puissant que le CO2. En 2012, uniquement sur le territoire américain, ces fuites ont ajouté l'atmosphère plus de 13 millions de tonnes de méthane en équivalent CO2. À Boston, en 2013, 3000 fuites ont été repérées sur les seuls pipelines situés à l'intérieur de la ville.
En 2009, en France, près de Fos-sur-Mer, 4500 tonnes de pétrole se sont échappés d'un oléoduc en plein milieu d'une réserve naturelle, abritant des espèces uniques en Europe. C'est balo. La société SPSE en charge du tuyau a avoué qu'elle connaissait le risque de fuite depuis... 1983 !
Mais, face aux écologistes un peu trop suspicieux, les industriels veillent. Et surveillent même. Au Canada, Enbrige et Transcanada sont conviés depuis 2005 à des réunions bi-annuelles avec les services de renseignement du pays. Une surveillance d'état dirigée vers les écologistes au profit d'intérêts industriels. Car ces tuyaux coûtent cher : 3,7 millions d'euros par kilomètre pour une extension du TransMountain, qui relie les gisements canadiens de l'est à l'ouest. De tels investissements, ça se protège.
Mais il faut aussi les rentabiliser. Et pour cela, il faut remplir les tuyaux. Donc extraire plus de pétrole et de gaz. Mais la production augmentant, il va falloir ajouter des tuyaux. Et donc les remplir. Pas si simple de briser le cercle visqueux de notre dépendance aux énergies fossiles.