Paradis fiscaux : évasion que j'te pousse ! (EP.59)
Informations techniques | |||||
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Saison | 5 | ||||
Episode | 59 | ||||
Date de sortie | 13/06/2016 | ||||
Durée | 13:07 |
Avec leur 11.5 millions de documents issus du cabinet d'avocat panaméen Mossack Fonseca, les Panama Papers ont confirmés d'une façon implacable l'ampleur des stratégies d'évasion fiscale qui gangrènent notre système mondialisé. Depuis plusieurs années, l'OCDE, le G20, la Commission Européenne et autres instances internationales affichent une volonté de lutter contre. Des mécanismes ont été mis en place, ouvrant en partie la voie à plus de transparence. Mais les mailles du filet restent désespérément percées. Peut-être parce qu'on continue à regarder la question avec des œillères ?
Avec Renaud Fossard, chargé de mission Justice Fiscale pour le réseau Latindadd.[1]
Script
Le principe de l'ombre, c'est qu'elle se déplace en même temps que la lumière. Bonjour !
330 milliards de dollars chaque année pour les États-Unis, 2% du Produit Intérieur Brut américain[2]. Près de 1.000 milliards d'euros par an en Europe[3]. Cette même Europe dont le budget dépassait à peine 162 milliards d'euros en 2015.[4] 40 à 80 milliards d'euros rien que pour la France[2]. Voilà un rapide coup d'oeil sur le joli pactole de l'évasion fiscale. Un trésor qui pourrait donner envie de colmater les fuites. Et pourtant...
En 2005, il y a plus de dix ans, l'Europe adopte une directive pour taxer les avoirs détenus par des particuliers en Suisse[5]. L'intention est louable. Entre 2004 et 2012, le nombre de comptes suisses liés à des ressortissants européens passe de 25% à 11%. Sauf que sur la même période, les comptes liés à des sociétés écran, sans nom identifiable, bondissent de 50% à 65%[6][7]. C'est balo.
Quatre ans plus tard, en 2009, à Londres, Nicolas Sarkozy déclare fièrement : « Le temps du secret bancaire est révolu ! »[8]. Ou pas. Entre avril 2009 et mai 2013, les avoirs financiers stockés en Suisse ont grimpés de 14%[9][7]. Et c'est pas pour faire du tricot. En 2013, sur 1.800 milliards d'euros gérés en Suisse, 600 milliards auraient atterri au Luxembourg, point de départ d'un long voyage vers d'autres cieux fiscaux. 150 autres milliards se seraient envolés vers les accueillants fonds d'investissements irlandais. Au final, seuls 200 milliards seraient sagement restés dans les banques helvètes.[6]
Toujours en 2009, l'OCDE crée deux listes de paradis fiscaux[10][11]. La noire pour les vilains qui ne veulent rien entendre et la grise pour les pays qui promettent d'agir. Les états ciblés peuvent sortir de ces listes grâce à des conventions fiscales avec d'autres pays. Il en faut au moins 12. Parfait. Dès 2009, Monaco signe donc 12 conventions, dont 7 avec d'autres paradis fiscaux[12]. Idem pour la Belgique, elle aussi sur la liste grise : 12 signatures, dont 7 avec des paradis fiscaux. Entre collègues, faut bien s'aider.[13]
Mais ne soyons pas négatifs. En octobre 2014 se tient le septième « Forum mondial sur la transparence et l'échange des renseignements à des fins fiscales », sous l'égide de l'OCDE. 89 pays s'engagent à mettre oeuvre un nouvel outil contre le secret bancaire : l'échange automatique d'informations fiscales[14][15]. Dès 2017 pour plus de 60% d'entre eux et en 2018 pour les autres. Savoir qui détient quoi et où : le glaive de la transparence !
Avril 2016, 18 mois plus tard, 11.5 millions de fichiers sortent des archives du cabinet d'avocats Mossack Fonseca. Les PanamaPapers sont la plus grosse fuite de documents de l'histoire[16][17]. Plus 214.000 sociétés, trusts et fondations apparaissent domiciliées par l'entreprise panaméenne. Une gifle. Et ce n'est qu'une partie du gâteau. Prenons ce ravissant petit archipel de 153 km2 que sont les Îles Vierges Britanniques, un paradis fiscal parmi tant d'autres. Il accueille 136 sociétés proposant des services financiers[18]. Comme le fait Mossack Fonseca. Autant dire qu'il reste du pain sur la planche à billets.
Les mailles de la lutte contre l'évasion fiscale ont beau se resserrer, le filet reste percé. Prenons l'échange automatique de données fiscales : il ne se fera pas entre l'ensemble des 89 signataires, ce serait trop simple. Chaque territoire choisira avec qui il accepte d'échanger[19]. De quoi s'amuser à brouiller les pistes. Et au passage, devinez quoi : le Panama ne fait pas partie des signataires.
Dernier petit détail : ces outils excluent les pays en développement. Pourtant, depuis 1970, plus de 12.000 milliards de dollars se seraient envolés des économies des 150 pays les plus pauvres de la planète[20][21]. D'après le FMI, comparés aux membres de l'OCDE, les pays du Sud sont trois fois plus vulnérables aux tours de passe-passe des multinationales[22]. Dans ces États, pour chaque dollar reçu, en aide ou en investissement, deux dollars s'envolent grâce à la fraude et l'optimisation fiscales. Difficile de bâtir un avenir quand le sol se dérobe sous vos pieds.
Conclusion
Rééquilibrer la balance. Revenir à la source des revenus. Déconstruire un système dont l'opacité est la règle pour en faire l'exception. Et ne pas s'arrêter aux déclarations victorieuses.
En mai 2016, la France décrète la mise en ligne d'un registre public des trusts, accessible à tous[23]. Belle annonce, surtout lorsque l'on sait que 80% de l'évasion fiscale mondiale transite par des trusts[24]. Mais leur forme juridique reste complexe. Listing ou pas, il est toujours possible de faire disparaître les bénéficiaires réels[25]. Rien dans les mains, rien dans les poches.
En attendant, les lanceurs d'alertes sont les seuls agents d'une transparence pourtant essentielle. Et ils le paient cher. Antoine Deltour est le dernier en date[26][27]. Grâce à lui, nous comprenons un peu mieux le modèle économique du Luxembourg. En juin 2015, il a reçu le prix du citoyen européen, décerné par le Parlement Européen. Aujourd'hui, il risque 18 mois de prison au Luxembourg.
Les pays riches portent l'étendard de la lutte infaillible. Mais sous ce drapeau, l'ombre fiscale continue de s'étendre sur les plus pauvres. Jusqu'à l'absurde. À force d'être tenus à l'écart, certains pays se disent qu'après tout, paradis fiscal est un modèle économique comme un autre. Comme le Ghana ou encore la Jamaïque[28].
Alors on les pointe du doigt, scandalisés, et l'on oublie bien vite les trous béants dans nos listes noires. Les Pays-Bas par exemple. Ils président actuellement l'Union Européenne. Or, leurs règles fiscales bien calibrées sont précieuses pour les multinationales. Grâce à elles, 100 milliards de dollars échappent chaque année aux économies des pays développement[29][30]. Sur ces listes, aucune trace non plus de la Suisse ou des États américains comme le Delaware. Décidément, notre étendard manque de panache.
Sources
- ↑ http://www.latindadd.org/
- ↑ 2,0 et 2,1 http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/europe/rap-info/i3101.pdf
- ↑ http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRPAE93B07H20130412
- ↑ http://ec.europa.eu/budget/annual/index_en.cfm?year=2015
- ↑ http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2005/06/29/la-directive-europeenne-sur-la-fiscalite-de-l-epargne-entre-en-vigueur-le-1er-juillet_667344_3214.html
- ↑ 6,0 et 6,1 http://gabriel-zucman.eu/richesse-cachee/
- ↑ 7,0 et 7,1 https://is.gd/8qiz3W
- ↑ https://www.youtube.com/watch?v=Uzk8UD_b99M
- ↑ http://gabriel-zucman.eu/richesse-cachee/
- ↑ http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/04/03/paradis-fiscaux-est-ce-vraiment-la-fin-du-secret-bancaire_1176443_1101386.html
- ↑ http://www.lefigaro.fr/patrimoine/2009/04/02/05001-20090402ARTFIG00612-les-trois-listes-des-paradis-fiscaux-determines-par-le-g20-.php
- ↑ http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/taxation/forum-mondial-sur-la-transparence-et-l-echange-de-renseignements-a-des-fins-fiscales-rapport-d-examen-par-les-pairs-monaco-2010_9789264095601-fr#page20
- ↑ http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/ce-qui-va-changer-apres-le-g20-et-ce-qui-ne-changera-pas_1425532.html
- ↑ http://www.oecd.org/fr/sites/forummondialsurlatransparenceetlechangederenseignementsadesfinsfiscales/berlin-statement-of-outcomes-fr.pdf
- ↑ http://www.oecd.org/tax/transparency/2015-Feb-GF-report-G20.pdf
- ↑ https://panamapapers.icij.org/
- ↑ http://abonnes.lemonde.fr/panama-papers/
- ↑ http://www.bvifsc.vg/en-au/regulatedentities/registeredagents.aspx#Z
- ↑ http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/g20-ocde-gafi-csf/norme-d-echange-automatique-d/
- ↑ https://www.theguardian.com/business/2016/may/08/offshore-finance-emerging-countries-russia-david-cameron-summit
- ↑ http://www.thedailybeast.com/how-the-kleptocrats-dollar12-trillion-heist-helps-keep-most-of-the-world-impoverished
- ↑ http://www.liberation.fr/futurs/2015/07/16/sommet-a-addis-abeba-y-a-qu-a-faucons_1349020
- ↑ http://www.gouvernement.fr/argumentaire/creation-d-un-registre-public-des-trusts-francais-4896
- ↑ https://www.nextinpact.com/news/99804-la-france-se-dote-dun-registre-public-trusts-accessible-en-ligne-30-juin.htm#/page/2
- ↑ http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/paradis-fiscaux-l-agitation-sterile-de-michel-sapin-sur-les-trusts-570984.html
- ↑ http://www.liberation.fr/planete/2016/05/10/luxleaks-vous-ne-ferez-pas-fuir-les-multinationales-en-acquittant-antoine_1451758
- ↑ https://support-antoine.org/
- ↑ http://www.20min.ch/ro/news/economie/story/25420788
- ↑ http://eurodad.org/Entries/view/1546593/2016/05/27/The-false-EU-promise-of-listing-tax-havens
- ↑ https://www.oxfam.org/en/research/netherlands-tax-haven?utm_source=oxf.am&utm_medium=ZXqj&utm_content=redirect
Sources secondaires
Sur les lanceurs d'alerte :
"L'échange automatique de données n'est pas le problème" : https://is.gd/AvmHsW
Rapport du Sénat sur l'évasion fiscale : https://is.gd/qHS5YY
Rapport de CCFD/OXFAM sur l'évasion fiscale des banques française : https://is.gd/CbhKws
Rapport d'Eurodad, "50 shades of tax dodging" : https://is.gd/uvXLQ7
Joseph Caillaux et la naissance de la lutte contre l'évasion fiscale... en 1906 ! : https://is.gd/2AWnuS + https://is.gd/EAtHPD + https://is.gd/MRfs6m + https://is.gd/mj706w
Le reporting pays par pays : https://is.gd/TpWVMD
"Paradis fiscaux, le double langage de Londres" : https://is.gd/07xNpt
Crédits
Crédits | |
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Un programme court proposé par Premières Lignes et Story Circus en coproduction avec France Télévisions. | |
Écriture et enquête | Julien Goetz
Sylvain Lapoix |
Réalisé par | Henri Poulain |
Graphisme/Animation | Laurent Kinowski |
Sound design | Christophe Joly |
Mixage | Yves Zarka |
Produit par | Luc Hermann |
Images et montage | Juliette Faÿsse |
Assistant monteur | Roman Dugas |
Directeur de production | Aurélien Baslé |
Assistante de production | Julie Ayreault |
Production exécutive - StoryCircus | Hervé Jacquet |
Musique | Cezame Music Agency |
Archives | Getty Images |
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Gwenaëlle Signaté Renaud Allilaire Christophe Cluzel Lucas Reverdy |
Administratrice de production | Sandrine Miguirian |
Responsable de communication | Antoine Allard |
Avec la participation du Centre National du Cinéma et de l'Image Animée |