Sport mondialisé : du pain et des jeux (EP.60)
Informations techniques | |||||
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Saison | 5 | ||||
Episode | 60 | ||||
Date de sortie | 11/07/2016 | ||||
Durée | 10:45 |
Jeux Olympiques, Coupes du Monde, d'Europe, Tour de France, Grand Chelem et autres... À travers la multiplications des grands événements sportifs mondialisés, l'émotion se diffuse et les valeurs du sport infusent. De grands idéaux devenus, au fil des sponsors, des slogans publicitaires qui envahissent l'espace public à chaque grande messe. Partons donc de l’Olympisme, ce berceau du sport mondial, pour questionner cette évidence du "sport fédérateur".
Avec Marc Perelman, enseignant à l'université Paris-Ouest Nanterre-La Défense, auteur de "Le sport barbare"[1].
Script
Les JO ? Un esprit plus si sain dans un corset. Bonjour !
Une flamme, frêle lueur au bout d'une torche, passée de mains en mains, comme un espoir qui jamais ne s'éteint. Qu'il pleuve, neige ou vente. Ah, le beau message de la flamme Olympique ! Pour arriver à Sotchi, en 2014, elle a parcouru 65.000 kilomètres en 5 mois à travers l'immense Russie[2][3]. Elle est allée au Pôle Nord et au fond du lac Baïkal. Une fusée l'a même propulsée dans la station spatiale internationale ! La toute puissance de l'homme sportif. Et de son portefeuille. Ce parcours fut le plus long et le plus coûteux de l'histoire de l'Olympisme.[4]
Au final, les jeux de Sotchi auraient coûté entre 17 et 36 milliards d'euros, jusqu'à 4 fois l'enveloppe prévue à l'origine[5]. Rien d'inquiétant. Entre 1960 et 2012, le dépassement du budget des Jeux Olympiques frôle les 180% en moyenne[6]. Ce sont les JO de Montreal en 1976 à Montréal qui détiennent le record avec un score de 796%[6] ! Quand on aime, on ne compte pas. Enfin, certains, si.
Les contribuables Montréalais mettrons 30 ans à rembourser cette dette[6]. À Grenoble, les habitants épongeront la facture des JO de 1968 pendant 27 ans, un tout petit 200% de dépassement[7]. C'est pourtant bien écrit dans le contrat de candidature : les villes et pays hôtes doivent prendre en charge les déficit du Comité d'Organisation[6]. Les règles sont les règles.
Mais ne soyons pas négatifs, les Olympiades génèrent aussi de l'argent. Des droits de retransmission médiatique par exemple, la principale source de financement pour le CIO. Entre 1994 et 1996, ils ont rapporté 1.251 milliards de dollars. Près de 15 ans plus tard, entre 2009 et 2012, cette somme est multipliée par 3, atteignant 3.850 milliards de dollars[8]. En 1988, les Jeux de Séoul génèrent plus de 2.500 heures de retransmissions dans 160 pays. En 2008, ceux de Pékin dépassent les 5.000 heures de programmes dans 220 pays.[9]
Voilà un beau moyen de véhiculer les valeurs de l'Olympisme à travers le monde. Et de ses sponsors. Prenons deux habitués, au hasard. Coca-Cola, partenaire olympique depuis 1928[10]. Le sucre et le sport, une vieille amitié, c'est bien connu. Ou Mc Donald's, LE « restaurant officiel », qui livrait déjà ses hamburgers aux sportifs américains à Grenoble en 1968[11]. Un esprit sain, dans un corps sain, n'est-ce pas ?
Du coup, à Londres, en 2012, quand les 11 principaux sponsors signent un chèque de 790 millions d'euros, il faut les chouchouter[12]. Près de 300 agents sillonnèrent le pays pour verbaliser toute personne récupérant les symboles de l'olympisme[13][14]. Un boulanger qui fait un pain reprenant la forme des 5 anneaux ? Interdit. Une grand-mère qui tricote un pull pour une poupée reprenant les couleurs olympiques ? Interdit. Des comptes twitter d'opposants aux Jeux comprenant les termes « JO » et « 2012 » ?[15] IN-TER-DIT.
Cerise sur le gâteau : le temps des jeux, les sites olympiques deviennent des paradis fiscaux pour les 11 sponsors principaux. Dans ces zones, toute taxation nationale disparaît comme par magie.[16]
Les Jeux Olympiques, c'est avant tout la beauté du sport et ses valeurs positives. Séoul, 1988 : 15% de la population est évacuée et 48.000 bâtiments démolis. Place au Jeux ! La même année, le prix du foncier à Séoul bondit de 27%, excluant d'office les familles les plus pauvres.[17] Pékin, 2008 : près d'1.5 million de personnes doivent quitter leurs logements en vue des rénovations[17]. Beauté du sport.
Et rien ne doit troubler cette grande messe que sont les JO, surtout pas les minorités. Atlanta, 1996, les sans abris deviennent des délinquants. 9.000 d'entre eux sont cités à comparaitre[17]. À Sidney, pour les Jeux de l'an 2000, les aborigènes font les frais de la politique d'embellissement de la ville[17]. À Athènes, 4 ans plus tard, les Roms sont déplacés. À Pékin, en 2008, les travailleurs migrants sont écartés[17]. De vraies valeurs positives. L'important c'est de participer non ?
Comment expliquer de telles dérives alors que les Jeux Olympiques modernes furent créés il y a 120 ans pour promouvoir paix et amitié des peuples ? La compétition sportive nous aurait-elle rendus fous ?
Conclusion
Gagner, vaincre, battre, se dépasser, se surpasser, être au-dessus, le meilleur, courir le plus vite, sauter le plus haut, frapper le plus fort. Nos grands messes sportives sont devenues des hymnes mondialisés à la victoire. Mais la victoire sur quoi ?
Le temps de la compétition, nous errons dans un monde parallèle - le merveilleux monde Olympique. Un vaste paravent qui masque nos sociétés et leurs tensions. Un monde où il est interdit de critiquer les Jeux[18], où la marque olympique privatise l'espace public et où les sponsors uniformisent le décor et la parole.[19]
L'Olympisme est devenu un rouleau compresseur qui aplati le monde au nom du sport. Et derrière, souvent, rien ne repousse. Sauf les dettes et les terrains vagues. Comme à Sotchi, ville balnéaire russe baignée de soleil, qui a accueilli les Jeux... d'hiver. On n'est pas à un paradoxe près. Trois mois après les événements, la mer alentours était impropre à la baignade à cause de décharges sauvages. En 2006, pour les JO de Turin, il a fallu déboiser la moitié d'une montagne pour installer des pistes de ski. Cinq ans plus tard, ces installations étaient à l'abandon.
Bien sûr que l'on aime le sport. Évidemment que l'on apprécie se retrouver pour vibrer ensemble. C'est bien la force de ces évènements mais c'est aussi devenu leur piège. « La première caractéristique essentielle de l'olympisme moderne, c'est d'être une religion », affirmait Pierre de Coubertin[20]. JO, Coupe du monde et autres ont privatisés notre besoin de liens, de collectif. Peut-on les repenser autrement ?
En 2015, le maire de Boston, soutenu par la mobilisation d'une partie de ses citoyens, a renoncé à la candidature de sa ville pour les Jeux de 2024. « Je refuse de signer une garantie qui utilise l'argent des contribuables pour payer pour les Jeux Olympiques », a-t-il affirmé[21]. En 2014, la ville de Stockholm avait inclus à sa candidature pour les Jeux de 2022, un accord sur la protection des travailleurs liés à la compétition. Une grande avancée sociale mais la ville se retire de la course quelques semaines plus tard, faute de soutient politique.[22]
Les Jeux sont aujourd'hui devenus un mirage mondial. L'illusion d'une communion désormais avant tout commerciale. Il va sans doute falloir descendre des podiums pour ramener un peu d'humanité et d'humilité dans tout cela.
Sources
Sources principales
- ↑ http://marcperelman.com/ouvrages/ouvrage.php?id_ouvrage=1
- ↑ https://www.olympic.org/fr/news/le-fabuleux-parcours-de-la-flamme-olympique
- ↑ http://ddc.arte.tv/uploads/program_slideshow/image/caption/2141705.jpg
- ↑ http://www.dailymotion.com/video/x1jp68j_le-dessous-des-cartes-sotchi-des-jo-tres-politiques_news
- ↑ http://www.lematin.ch/sports/depeches/jo2014--depenses-atteignent-36-milliards-euros-sotchi-officiel/story/16416097
- ↑ 6,0 6,1 6,2 et 6,3 https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2238053
- ↑ https://www.bastamag.net/Jeux-olympiques-2018-a-Annecy-la
- ↑ https://stillmed.olympic.org/media/Document%20Library/OlympicOrg/Documents/IOC-Marketing-and-Broadcasting-General-Files/Olympic-Marketing-Fact-File-2016.pdf#page=6
- ↑ https://stillmed.olympic.org/media/Document%20Library/OlympicOrg/Documents/IOC-Marketing-and-Broadcasting-General-Files/Olympic-Marketing-Fact-File-2016.pdf#page=20
- ↑ http://view.digipage.net/go/iocsochi2014/#44
- ↑ https://www.olympic.org/fr/news/mcdonald-s-prolonge-son-partenariat-avec-les-jeux-olympiques-jusqu-en-2020
- ↑ https://www.challenges.fr/sport/u-jo-de-londres-les-sponsors-coca-mcdonald-s-masterdard-font-plus-que-jamais-la-loi_5093
- ↑ http://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/britain-flooded-with-brand-police-to-protect-sponsors-7945436.html
- ↑ https://www.commondreams.org/news/2012/07/16/britain-flooded-brand-police-protect-olympic-sponsors
- ↑ http://blog.indexoncensorship.org/2012/05/23/olympic-organisers-shut-down-space-hijackers-protest-twitter-account/
- ↑ https://link.springer.com/article/10.1007/s40318-013-0005-5
- ↑ 17,0 17,1 17,2 17,3 et 17,4 http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/13session/A-HRC-13-20.pdf
- ↑ http://www.slate.fr/monde/74285/jeux-olympiques-russie-poutine-sotchi-censure-vasily-slonov
- ↑ https://scinfolex.com/2012/07/27/comment-la-propriete-intellectuelle-a-transforme-les-jeux-olympiques-en-cauchemar-cyberpunk/
- ↑ http://www.persee.fr/docAsPDF/comm_0588-8018_1998_num_67_1_2248.pdf
- ↑ http://www.huffingtonpost.fr/2015/07/28/boston-jo-2024-candidature-paris-sport_n_7884194.html
- ↑ http://www.ituc-csi.org/la-candidature-de-la-suede-aux?lang=fr
Sources secondaires
"Du pain et des jeux" "Panem et circenses" : https://is.gd/RX3u8i
"Sotchi, des JO très politiques" : https://is.gd/jEKZZE
"Comment la propriété intellectuelle a transformé les Jeux olympiques en cauchemar cyberpunk" : https://is.gd/mW7u2I
"Trois mois après les JO, retour à Sotchi, ville abandonnée" : https://is.gd/in3471
"Jeux olympiques 2018 à Annecy : la grande escroquerie" : https://is.gd/d2JSRm
"Les Jeux olympiques de Sotchi battent déjà le record du dégât écologique" : https://is.gd/g860YU
"Sotchi, les jeux de la répression" : https://is.gd/t8rtGw
"Le Comité international olympique : allié ou rival de l'ONU ?" : https://is.gd/0OBvtk
Sources complémentaires
Des articles, des vidéos, des émissions viendront poursuivre la réflexion.
Crédits
Crédits | |
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Un programme court proposé par Premières Lignes et Story Circus en coproduction avec France Télévisions. | |
Écriture et enquête | Julien Goetz
Sylvain Lapoix |
Réalisé par | Henri Poulain |
Graphisme/Animation | Laurent Kinowski
Gilles Roqueplo |
Sound design | Christophe Joly |
Mixage | Yves Zarka |
Produit par | Luc Hermann |
Images et montage | Juliette Faÿsse |
Assistant monteur | Roman Dugas |
Directeur de production | Aurélien Baslé |
Assistante de production | Mathilde Quéru |
Production exécutive - Story Circus | Hervé Jacquet |
Musique | Cezame Music Agency |
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Céline Limorato Gwenaëlle Signaté Renaud Allilaire |
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Avec la participation du Centre National du Cinéma et de l'Image Animée |