Régime représentatif, mais de quoi ? (EP.72)
Dans une démocratie représentative, nous votons pour des élu.e.s qui nous représenteront durant plusieurs années. C'est le cas lors des élections présidentielles, européennes, législatives, régionales, départementales. Cependant, depuis quelques années, le profil de ces députés est de moins en moins représentatif de la diversité sociale de la France. Peu d'ouvriers, davantage de cadres : le sentiment de représentation disparaît, la participation aux élections avec.
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Quand le présent ne représente plus, le futur s'enfui. Bonjour !
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum », Constitution Française, Article 3, premier alinéa (https://is.gd/xANcXU). Faisons un peu de dissection constitutionnelle : « souveraineté nationale » / « peuple » / « représentants ». Ce qui relie principalement ces trois éléments - en théorie - c'est le vote. Mais depuis quelques années ce lien semble un peu distendu.
Il y a la célèbre abstention, bien sûr. Si l'on prend le second tour des scrutins présidentiels - les plus suivis - depuis 1981 elle n'est jamais passée sous la barre des 15%. 20,3% en 1995 et 2002, un creux à 16% en 2007, une exception, puis 19,6% en 2012 et un joli 25,3% en 2017 (https://is.gd/0vGKxj + https://is.gd/IcA5f1).
Regardons les législatives qui nous permettent d'élire les députés de l'Assemblée Nationale. L'abstention y est passée de 30% au premier tour de 1988, à près de 43% lors de celui de 2012 (https://is.gd/GMoaU6). Les élections européennes ? 39% d'abstention en 1979, 56% en 2014 (https://is.gd/uI8jjT). Et ce serait la faute des votants ? Pour la première fois, lors des élections présidentielles de 2017, les votes blancs sont décomptés séparément des votes nuls - enfin ! Résultat, au second tour, 8,5% des votants ont glissé un bulletin vierge dans l'urne (https://is.gd/AAA5VO). Une façon de dire : le vote « oui », mais ce vote : « non ». Quand on vous dit que le lien est fragile.
Or mécaniquement, plus l'abstention s'installe, plus la notion de représentativité des élus s'effrite. En France, les résultats annoncés d'une élection sont calculés en faisant le ratio entre le total des bulletins valides - c'est-à-dire hors blancs et nuls - et le nombre de bulletins obtenus par chaque candidat. Pour les législatives de 2012, par exemple, les 577 députés élus ont obtenu en moyenne 54.38% des suffrages exprimés (https://is.gd/0vGKxj). Sauf que si l'on fait le calcul en se basant sur le nombre total d'inscrits - donc de votants potentiels - et non uniquement sur les bulletins valides, la perspective change.
En tenant compte de l'abstention et des bulletins blancs ou nuls, ces mêmes 577 députés ont en fait été élus avec seulement 30% des voix des inscrits, en moyenne. Avec ce mode de calcul, aucun des députés élus en 2012 n’a obtenu plus de 50% des voix des inscrits. Une seule députée a gagné son siège à l'Assemblée Nationale en dépassant les 40%, tandis que 256 autres furent en réalité élus par moins de 30% des inscrits sur les listes électorales. Un chiffre qui ne cesse de chuter depuis 1968 où les députés avaient été élus en moyenne par 50% des inscrits(https://is.gd/0vGKxj). Adieu l'idée de majorité.
Regardons du côté de l'équité. Même si au fil des élections, les députées sont de plus en plus nombreuses au Palais Bourbon, en 2012, elles n'étaient toujours que 155 (https://is.gd/iADyNy). À peine plus d'un quart de l'Assemblée Nationale. Et plutôt éloignées des postes stratégiques. Seuls 10% des présidents et vice-présidents de groupes sont des femmes et moins de 5% des présidents et vice-présidents de commissions permanentes (https://is.gd/Oip36N). Un déséquilibre qui existe aussi à d'autres niveaux : en 1978, les ouvriers représentaient 6% des députés. À l'issue des législatives de 2012, seul un député était ouvrier, contre plus de 13% dans la population française. Étrange idée de la représentation (https://is.gd/iADyNy).
Revenons-en au vote. Près de 3.5 millions de français en droit de voter ne seraient tout simplement pas inscrits sur les listes électorales et, là encore, l'inégalité est de mise (https://is.gd/1tOtfM). Alors que cela concerne 9% des ouvriers, la non-inscription ne touche que 2% des cadres supérieurs (https://is.gd/U3UM43). Et puis il y a les « mal-inscrits », celles est ceux qui sont inscrits ailleurs que dans leur commune de résidence. 6.5 millions de votants, dont une grande majorité de jeunes, plus de 50% ont entre 18 et 34 ans (https://is.gd/kwCK4v). Des situations en partie liées aux contraintes des règles d'inscriptions sur les listes électorales. Et devinez quoi ? Les risques d'abstention sont en moyenne 4 fois supérieurs quand on est « mal-inscrit » (https://is.gd/KOZSdv). Même le contrat de travail a son importance : qu'il s'agisse d'ouvriers ou d'employés, celles et ceux en CDD ou en intérim ont une probabilité de s'abstenir de 3 à 5 points supérieure à la moyenne (https://is.gd/U3UM43). Nos inégalités sociales se retrouvent aussi dans les urnes.
Pilier de notre régime représentatif, notre système de vote semble donc sérieusement déroger à quelques règles démocratiques élémentaires. Faisant de la représentativité des élus un mirage et polarisant un peu plus, au fil des scrutins, notre société. Et si l'on questionnait notre République avant que tout l'édifice ne s'écroule ?