Abreuvés de brevets (EP.22)
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Une chasse gardée est efficace quand elle est bien... gardée. Bonjour.
Il était une fois... les brevets. Ces précieux petits morceaux de papiers tamponnés furent créés pour protéger l'innovation et les inventeurs. Après avoir travaillé des années, celui ou celle qui obtient un brevet peut interdire quiconque d'utiliser sa trouvaille. Généralement sur une durée moyenne de 20 ans. Une manière de rentabiliser sa recherche.
En 2012, 2,35 millions de brevets ont été déposés dans le monde. Presque 10% de plus qu'en 2011, un record sur les 18 dernières années. Et près de 50% d'entre eux furent validés. Ce qui donne plus d'un million de trouvailles protégées. Que d'inventeurs sur notre planète ! À moins que les brevets ne servent à autre chose ?
Dites bonjour aux « patent trolls ». Dans ces entreprises, principalement américaines, on ne produit rien, on ne fait qu'acheter des brevets et faire payer leur utilisation, limitant du même coup l'innovation. Pourquoi s'embêter à faire de la recherche alors que le business est ailleurs ? Intellectual Venture, le plus gros patent troll américain détient à lui seul 70.000 brevets. L'utilisation de ses licences lui rapporte 3 milliards de dollars par an.
La France s'y met aussi, à la française. En 2011, le gouvernement de François Fillon crée la société « France Brevets », dotée de 100 millions d'euros grâce au Grand Emprunt. Sa mission : acheter des brevets et les valoriser. Un patent troll d'État en somme.
Aujourd'hui, c'est dans le secteur des technologies informatique et de l'énergie que l'on protège le plus d'inventions. Un effet de masse normal : pour protéger un smartphone, il faut environ 200 brevets différents. Mais il y un autre secteur, plus discret par le nombre mais bien plus lucratif : les médicaments.
Le Lipitor, un anti-cholesterol, est le médicament le plus vendu au monde. Son brevet, détenu par la société Pfizer, a rapporté jusqu'à 13 milliards de dollars par an au laboratoire entre 1991 et 2011. Plus de 15% de ses revenus. Autre exemple : l'anti-diabétique Lantus, dont le brevet rapporte 7 milliards de dollars annuels à Sanofi. Une maladie, un brevet, un business.
En accordant des monopoles, les brevets permettent des dictatures commerciales. Chaque entreprise fixe son prix. L'Efivarenz, breveté par le laboratoire Merck, permet de lutter contre le SIDA. Difficile de s'en passer lorsqu'on est atteint. En Thaïlande, le laboratoire le vend à plus de 40 dollar par mois, 10% du salaire moyen.
Pourtant, l'Inde voisine fabrique un médicament générique du même traitement, moitié mois cher (22$). En 2007, la Thaïlande a donc décidé de casser le brevet du laboratoire américain au nom de la santé publique et d'autoriser l'importation de génériques.
Heureusement, il reste d'autres monopoles à conquérir. En 1994, la société Myriad Genetics a breveté 2 gènes liés aux cancers du sein et des ovaires. Ainsi, depuis 20 ans, Myriad Genetics bénéficie d'un monopole total sur le dépistage de ces deux cancers aux États-Unis, empêchant toute recherche alternative.
Mais la cour suprême des Etats-Unis a cassé ces brevets en 2013, expliquant que - oh surprise - l'ADN naturel n'était pas brevetable. Mais ajoutant que l'ADN complémentaire oui ! Superbe nuance. L'ADN « complémentaire » n'est qu'une copie de l'ADN naturel réalisée en laboratoire. Le secteur des biotechnologies reste donc protégé et la valeur boursière de Myriad Genetics continue de grimper.
Prévus pour accompagner les inventeurs, les brevets sont devenus aujourd'hui une véritable industrie du savoir. L'enjeu n'est plus d'inventer utile mais surtout d'inventer rentable. À croire que c'est dans nos gènes.