L’économie s'étouffe, la croissance s’étrangle, la richesse s’enfuit et le peuple gronde ? C’est, paraît-il, encore et toujours la faute de... L’impôt ! Il est l’une des cibles favorites de nos gouvernants, alors que son versement concrétise le consentement collectif à faire société. Un jeu dangereux puisque c’est grâce à lui que les Etats s'élèvent et se protègent, quand son délitement précipite invariablement leur chute. Surtout que de l’antiquité jusqu’à la France contemporaine, ce n’est pas l’idée de participer au pot commun qui attise vraiment la colère populaire, mais bien le manque de transparence et de justice fiscale...
A trop jouer avec le feu, on finit par se cramer les doigts, bonjour.
Quel est le point commun entre la Révolution américaine de 1773, la chute de la monarchie française et la destitution de l'Empereur Napoléon Bonaparte ? L'impôt.
Pas un siècle ne passe sans révolte fiscale. Dans la Rome antique, déjà, le vocabulaire réservé aux prélèvements obligatoires donnait le ton. Le fisc, pour commencer. Du latin « fiscus », il désignait un panier dont on tire le jus de raisin... jusqu'à la dernière goutte. Et celui qui récolte, « l'imposteur », officier royal, pratiquait « l'exaction », l'action de percevoir les taxes. Ambiance.
Mais ce n'est pas le principe de mettre au pot commun qui met le feu aux poudres. C’est plutôt quand les contribuables perdent de vue l’usage du trésor national. Le principe est si évident aux révolutionnaires qu’ils y consacrent l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : tous les Citoyens ont le droit de « consentir librement », « suivre l’emploi » et « déterminer » les modalités de la contribution publique. La fiscalité est consacrée comme souveraineté.
Créer un impôt, c’est donc décider de la façon dont l’État récupère des recettes pour en faire bénéficier la collectivité. Bienvenue au principe de redistribution !
Prenons, au hasard, l’ISF, le fameux Impôt de « solidarité » sur la fortune. « Solidarité », tiens donc ? C’est ainsi que Michel Rocard défend en 1988 la réforme de l’Impôt sur les grandes fortunes mise en place pour abonder un nouveau minima social, le RMI. Pas de confiscation, une simple répartition. Pour beaucoup, cette contribution risque de faire fuir les pauvres riches … vraiment ? Postons-nous aux frontières : en 2013, l’administration fiscale enregistrait le départ de 713 expatriations parmi les personnes imposables soit … 0.3 % du total. Et encore, sans en connaître les motivations. Selon la banque Crédit Suisse, la France serait même le 2è pays d’accueil des plus fortunés après les Etats-Unis avec plus de deux millions de millionnaires en dollar. Adieu mythe de l’exode fiscal ...
C’est pourtant sur la base de cet argument que le président Emmanuel Macron a décidé en 2017 de remplacer ce prélèvement par l’Impôt sur la fortune immobilière. Conséquence immédiate : une chute de 340000 à 120000 foyers fiscaux assujettis et 3,2 milliards d’euros en moins dans les caisses de l’État. Bien joué ! Mais le Trésor public n’est pas le seul lésé. En ouvrant droit à des déductions pour les dons aux organisations caritatives, l’ISF transformait l’avarice en générosité. Dès sa réforme en 2018, les fonds collectés auprès des donateurs et donatrices fortunés ont chuté de 54 %.
« Oui mais, un impôt juste, c’est un impôt que tout le monde paie. Comme la TVA ! » Contrairement à l’ISF, la taxe sur la valeur ajoutée n’est pas réservée à une catégorie de population mais est appliquée sur les biens et services : de 2,1 % pour la presse et les médicaments à 19,6 % pour le taux « normal ». Une petite ligne sur le ticket qui pèse lourd dans les caisses de l’État : 154,6 milliards d’euros, soit 54 % des recettes fiscales. Jackpot !
Sauf que s’il est fairplay avec les prix, il ne frappe pas tout le monde aussi fort au portefeuille. En consacrant la majeure partie de leurs revenus à la consommation, les ménages les plus pauvres paient beaucoup plus de TVA que les riches une fois rapporté à leurs moyens : 12,7 % du revenu disponible des 10 % des foyers les plus pauvres sont dépensés dans cet impôt indirect contre 4,7 % de celui des 10 % les plus fortunés. Le panier de la ménagère ne pèse pas le même poids pour tout le monde.
Plus équitables en théorie, les impôts sur le revenu et sur les sociétés voient leurs assiettes rongées par une galaxie de crédits : 457 exceptions dont bénéficient d’abord celles et ceux qui ont les moyens de peaufiner leurs dossiers. Le Cice, notre plus grosse niche fiscale avec 16,5 milliards remboursés en 2017, a massivement bénéficié aux grandes entreprises. En 2016, le groupe Carrefour aurait ainsi reçu un chèque de 134 millions d’euros du trésor public. Deux ans plus tard, la même société annonçait la suppression de 2400 postes. Ah oui, le « e » de Cice, ça voulait dire « pour l’emploi ».
Le consentement à l'impôt est un ouvrage fragile, dont la légitimité repose sur des siècles d’efforts communs. Depuis la guerre de Cent ans, l'impôt permet à la France de traverser les plus grandes épreuves qu'elle a connu. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, une fois la paix durablement installée, c'est son augmentation qui a permis la naissance de notre système de protection social.
Face aux enjeux qui s'imposent désormais, péril climatique et fragilisation des plus démunis, réfléchir à l'impôt sans les contribuables semble une invitation à la bataille rangée plutôt qu'à la lutte contre les inégalités. Et si la première réforme fiscale était une réforme démocratique ?